Date de publication : 10 novembre 2016
La performance clinique des médecins doit être connue du public
Yanick Labrie, porte-parole du CEPSEM, Conseil des entreprises privées en santé et mieux-être*
La couverture médiatique des dernières semaines a donné lieu à plusieurs articles et reportages sur la rémunération des médecins. Évidemment, lorsque plus du quart d’un budget de 30 milliards de dollars vient rémunérer des cliniciens, comme c’est le cas au Québec, il est tout à fait normal que les médias s’y intéressent de près.
Mais au-delà de la spectaculaire hausse de rémunération des médecins des dernières années – une croissance annuelle de près de 8 % en dix ans –, c’est l’absence complète d’imputabilité et de reddition de compte comme contrepartie à ces sommes qui devrait alimenter les manchettes. Il est là le vrai scandale !
Depuis plus de trois décennies, le Québec octroie des honoraires majorés de 30 % aux médecins qui pratiquent en cabinet. Cette prime, versée à plus de 10 000 médecins généralistes et spécialistes, sert en principe au fonctionnement de la clinique, à l’embauche de personnel et à l’amélioration des services aux patients.
Or, personne au sein de la population, pas même le ministre de la Santé, ne peut savoir si les montants versés remplissent bel et bien ces objectifs. Il n’y a jamais eu de reddition de compte, tant du côté financier que clinique.
L’indignation de nombreux patients d’avoir à payer des « frais accessoires » pour des services en clinique, en surplus des impôts qu’ils versent déjà, est dans ce contexte compréhensible. En rejetant les principes de transparence et de reddition de compte, on a laissé la porte grande ouverte à l’arbitraire.
Performance clinique des médecins
L’opacité du système de santé masque aussi la performance clinique des médecins. Et le peu que l’on sait n’a rien d’encourageant.
Selon les plus récents résultats de l’enquête annuelle du Commonwealth Fund menée auprès d’une douzaine de pays et provinces canadiennes, c’est le Québec qui arrive en queue de peloton pour l’évaluation de la performance clinique des médecins de famille. À peine 13 % des omnipraticiens québécois admettent comparer leur performance à des cibles cliniques, et cette proportion diminue sondage après sondage.
La situation québécoise est particulièrement préoccupante lorsqu’on la compare à bon nombre de pays, où la reddition de compte et la gouvernance clinique ont été au cœur d’importantes réformes ces dernières années. C’est notamment le cas des pays scandinaves, des Pays-Bas, de l’Australie et du Royaume-Uni.
De ces pays, c’est l’Angleterre qui a élevé la barre le plus haut, suite aux réformes initiées au tournant des années 2000. On souhaitait créer un système centré sur la liberté de choix des patients, où l’imputabilité des médecins se mesure à l’aune de l’utilisation des ressources financières et de la qualité des soins. On a d’ailleurs jumelé les deux objectifs par un mode de rémunération lié au rendement (Quality and Outcomes Framework).
En parallèle, un portail e-santé, donnant accès à un éventail d’indicateurs sur la qualité des services rendus, permet aux patients de comparer la performance des prestataires. Les patients peuvent également prendre rendez-vous en ligne avec leur médecin (Choose and Book).
Depuis l’instauration de la réforme, on constate une nette amélioration de la qualité des soins et de l’accès aux services de première ligne. De plus, les inégalités d’accès entre citoyens des quartiers défavorisés et mieux lotis ont été complètement éliminés en quelques années.
Pourquoi un tel virage ne pourrait-il pas servir d’inspiration au Québec ?
Les médecins québécois ont des compétences certaines et leur sens des responsabilités est incontestable. Mais ils ne seront vraiment imputables que le jour où ils devront rendre des comptes.
Pour y parvenir efficacement, Il faut impérativement des objectifs clairs, des indicateurs de performance crédibles et que les résultats soient rendus public. Voici en résumé la leçon qu’est venu livrer, l’an dernier, devant un auditoire du CEPSEM le Dr Jean-Frédéric Lévesque. Ce Québécois dirige un organisme indépendant, créé par le gouvernement, qui est responsable de l’analyse et de la publication de rapports de performance clinique et financière dans le système de santé du plus gros État… en Australie (Bureau of Health Information, New South Wales)!
L’enjeu clé du débat actuel entourant la renégociation des ententes avec les médecins n’est pas de savoir qui sera le négociateur en chef du gouvernement ni s’il y a eu ou non rattrapage salarial avec l’Ontario. L’enjeu fondamental est de s’assurer que la gouvernance clinique et la reddition de compte soient au cœur des discussions.