Date de publication : 31 janvier 2017
Les patients ne doivent pas payer pour l’abolition des frais accessoires
Yanick Labrie, porte-parole du CEPSEM, Conseil des entreprises privées en santé et mieux-être*
Il ne fallait être devin pour prédire que l’abolition des frais accessoires pour certains produits et services offerts en cabinet allait créer des remous au sein du réseau de la santé. Bien que motivée par une intention louable, il était à prévoir que cette décision allait entraîner son lot d’effets pervers et de mécontents.
On doit s’attendre à ce que certains services cessent d’être offerts en cabinet et soient rapatriés au sein du réseau public. Plusieurs patients seront donc contraints de prendre leur mal en patience, les temps d’attente en établissements étant beaucoup plus longs.
La situation pénalisera encore davantage les patients des cliniques qui doivent se doter d’équipement et de technologie de pointe pour évaluer et traiter leurs conditions de santé. Si le remboursement provenant de l’assureur public (RAMQ) est insuffisant pour couvrir le coût du traitement et qu’il est impossible pour la clinique de récupérer la différence en exigeant une contribution financière des patients, l’offre de ces services ne pourra aller qu’en diminuant. D’ailleurs, plusieurs cliniques dans cette situation, notamment en endoscopie et en gastro-entérologie, ont déjà été contraintes de fermer leurs portes.
Ainsi, même avec l’abolition des frais accessoires, le problème fondamental de l’accès aux soins de première ligne (sans parler de l’accès aux examens diagnostiques, aux services d’urgence et aux blocs opératoires) restera entier. Il risque même de s’envenimer.
Qui plus est, la décision viendra décourager encore plus les initiatives privées visant à innover et à acquérir de nouveaux équipements, même si cela pourrait améliorer les soins pour les patients et diminuer les coûts pour l’ensemble du réseau à plus long terme.
Augmenter le choix pour les patients
L’une des solutions pour aider à remédier à ce problème consisterait à faire en sorte que les cliniques puissent avoir plus d’une source de revenus, en autorisant la pratique médicale mixte.
À l’heure actuelle, l’assureur public possède un double chapeau unique en ce qui a trait au financement des services prodigués par les médecins, qu’on ne retrouve dans aucun autre pays développé. Du point de vue des patients, la RAMQ détient le monopole exclusif du marché de l’assurance maladie. En revanche, sous l’angle des médecins, la RAMQ possède le rôle inverse, en étant le seul acheteur de leurs services (un monopsone). En effet, la quasi-totalité des médecins participent au régime public et doivent œuvrer exclusivement pour la RAMQ.
Or, pourquoi ne pas autoriser les médecins à voir des patients au privé après leur prestation de travail accomplie pour la RAMQ ? Une partie de leur rémunération pourrait alors provenir des régimes privés d’assurance ou directement des patients.
Le Québec est l’un des seuls endroits au monde où l’on interdit aux médecins de pratiquer à la fois dans le secteur public et dans le secteur privé pour les soins médicalement requis. Dans la quasi-totalité des autres pays, la mixité de pratique est permise, tout en étant réglementée. En Angleterre, par exemple, 39 % des médecins spécialistes choisissent de pratiquer contre une rémunération privée après avoir effectué le nombre d’heures obligatoires au sein du régime public. Le secteur privé agi donc comme soupape dans le système de santé anglais, et permet d’accroître l’éventail de choix disponibles pour les patients et d’améliorer l’accès. Surtout, en ayant des sources variées de revenus, ces cliniques ne sont pas à la merci des décisions unilatérales d’un payeur unique, comme c’est le cas ici.
Qu’attend le Québec pour suivre cette voie ? Rien dans la Loi canadienne sur la santé n’empêche la mise en place d’une telle réforme. D’ailleurs, trois provinces autorisent déjà la mixité de pratique médicale sans miner le principe d’universalité.
En leur permettant de travailler contre rémunération de source privée en complément à leur engagement envers le régime public, les médecins québécois pourraient traiter plus de patients tout en diversifiant leurs sources de revenus. En augmentant sensiblement le nombre d’heures consacrées globalement au réseau de la santé, cette pratique mixte serait susceptible de diminuer sensiblement les temps d’attente. Les patients en sortiraient gagnants.